L’Assemblée des femmes pour d’autres mondes possibles s’est réunie à Mexico dans des moments de grande incertitude pour l’avenir de l’humanité. La stratégie de mondialisation néolibérale a accéléré la déprédation et l’atteinte à la vie pour maintenir la domination d’un ordre capitaliste, patriarcal et raciste.
La crise pandémique et la récente escalade de la guerre et du militarisme, expriment l’ampleur actuelle d’un système qui conduit à l’extrême concentration des richesses et du pouvoir, à la destruction et au mépris de toutes les formes de vie, aux inégalités et à la violence.
Mais pour les peuples, et en particulier les femmes, se projette un flux d’expériences, de luttes et de propositions vers la transformation, vers la construction d’un monde libéré du capitalisme, du patriarcat, du racisme et de toute forme de violence envers le vivant.
C’est pourquoi nous réaffirmons qu’un autre monde est possible et nous disons :
NON À LA GUERRE ET A LA MILITARISATION
La guerre est la pire attaque contre la vie. Son sillage de destruction s’acharne sur les peuples, en particulier sur les femmes qui prennent soin de leurs familles et de leurs communautés au milieu de toutes sortes de privations, d’exode et migration forcée, elles qui sont exposées à des violences exacerbées.
Guerres déclarées et non déclarées, déploiement des possibilités illimitées de la guerre hybride, invasions, occupations se maintiennent dans différentes parties de la planète, sans que les « puissances mondiales » déploient les initiatives et les efforts nécessaires pour des solutions de paix négociées. On assiste aujourd’hui, au contraire, à une escalade militariste et armée qui démontre des intérêts géopolitiques et corporatistes, au prix d’effets globaux de forte inflation, d’insécurité alimentaire accrue avec risque de famines, de crise énergétique, de coupes supplémentaires dans la santé publique et l’éducation, tout cela aggrave les conditions de vie des femmes et des peuples, et détériore l’environnement de façon exponentielle.
Nous disons Non à la guerre, sur tous les continents. Non aux politiques de l’OTAN visant à contrôler la planète avec une prédominance d’entreprises nord-américaines. Non aux accords coloniaux qui dévastent la vie des femmes et des peuples des territoires occupés.
Nous sommes solidaires du peuple palestinien et particulièrement des femmes palestiniennes, qui font face à de multiples formes de violence dans le cadre du blocus et de l’occupation de leurs territoires et des politiques du régime d’apartheid imposées par l’État d’Israël. Nous saluons et embrassons la résistance historique des femmes sahraouies et leur cri de liberté contre toutes les formes d’oppression coloniale. Nous sommes aux côtés des femmes d’Ukraine, des féministes russes, des femmes et du peuple kurde, des organisations territoriales de Colombie et ses dirigeantes qui font face à une élimination systématique ; nous sommes avec toutes les femmes qui se battent et résistent.
À partir de l’éthique et de l’expérience féministe, nous appelons à assumer des moyens non violents pour résoudre les conflits, en mettant au premier plan la vie, le bien commun, la solidarité, la consolidation de la paix avec la justice.
ARRÊTEZ DE COMMERCIALISER LA VIE
La planète a été soumise à la logique de l’appropriation privée, du commerce, du profit et de l’accumulation concentrée. Des aspects matériels aux plus symboliques et intimes, la planète fait l’objet d’une marchandisation. La destruction matérielle et culturelle que ce modèle entraîne a mis la planète en crise terminale.
Nous dénonçons l’impact de l’alliance perverse entre patriarcat, colonialisme et capitalisme, qui se manifeste par l’envahissement des corps et des territoires. La réalité pandémique a montré la relation étroite entre la propagation du Covid et un modèle de production basé sur la déforestation, l’extractivisme, les produits agrochimiques toxiques, les semences génétiquement modifiées, les aliments « empoisonnés », la pollution de l’eau, la production incontrôlée de déchets, les technologies numériques invasives, la délocalisation de la production et du commerce.
Malgré cette évidence, en même temps que plusieurs milliers de personnes et de collectifs refusent de revenir à la « normalité » précédente, dans la post-pandémie nous voyons que le même modèle est confirmé et approfondi, la concentration et le contrôle des géants technologiques sur tous les domaines de la vie sont accentués. Un pouvoir corporatif sans limites supplante, aujourd’hui nos institutions démocratiques affaiblies et otages de ces intérêts mondialisés.
Le schéma économique de la finance et de la spéculation ne s’inverse pas. L’endettement atteint désormais non seulement les pays mais aussi les communautés, les familles et les femmes. Vivre endetté représente un chantage sur nos possibilités d’autonomie. Pour nos pays, avec les inévitables impositions du FMI, cela implique l’érosion de la souveraineté, l’impossibilité de projets autonomes, la précarité du travail, la perte de droits à l’éducation, au logement, à la santé et à une vie décente.
L’alternative d’une autre économie, qui s’est révélée sous le nom de « résilience », existe et résiste. Malgré le siège du capital, l’alternative est significativement présente dans les économies paysannes et indigènes, dans l’agroécologie, dans toutes les formes économiques qui privilégient les soins, le travail, la vie, en général dirigées par des femmes, même au milieu des injustices et des inégalités.
À partir de la vision et de l’expérience féministes de l’économie, nous donnons au monde les lignes directrices d’une économie pour la vie :
La priorité est de répondre aux besoins fondamentaux de logement, d’éducation, de revenu de base, de santé, pour tous et toutes, pour lesquels un consensus social s’impose via l’impératif de taxation des grandes fortunes pour aller vers des formes alternatives de relance économique, ce qui passe notamment par la redéfinition d’ emplois socialement nécessaires et la reconversion d’ emplois biocides vers un schéma neuf de travail et de production à touches écoféministes.
Nous réaffirmons que le soin de la vie constitue le cœur et le sens de l’économie. Les contributions des femmes, malgré les injustices de la division sexuelle du travail et la dévalorisation, ont été cruciales pour soutenir la vie des sociétés et de la nature, pour faire face à la dévastation du capital. Il est temps de prendre soin de l’égalité et de la solidarité.
Nous soulignons l’importance stratégique de la production locale, de la capacité de réponse propre basée sur des réseaux partenaires productifs, sur la solidarité et la complémentarité. Pour cela, la reconnaissance et la protection des territoires des peuples et communautés originaires sont indispensables.
Soulignons le potentiel d’un programme de transformations que nous avons contribué à construire et qui est inéluctable : nouvelle architecture financière, justice fiscale, commerce équitable, monnaies alternatives, économie sociale et solidaire, agroécologie, souveraineté alimentaire, souveraineté énergétique, relations harmonieuses avec la Terre Mère.
LA VIOLENCE PATRIARCALE TUE ET ASPHYXIE LA VIE DE TOUTE LA SOCIETE
Ce sujet nous remplit de douleur et d’indignation. Les luttes féministes soutenues ont conduit à des avancées dans la reconnaissance formelle des droits, à des changements dans certains schémas culturels, mais la conjonction d’anciennes formes de domination masculine avec des conceptions patriarcales actualisées, voire technologisées, se traduit par une escalade des féminicides, des viols, des harcèlements des femmes, des filles et des LGBTQI, en toute impunité, voire complicité.
Les lois conquises dans la rue sont partiellement mises en œuvre ou directement niées dans les actions concrètes des gouvernements. Dans certains pays, nous avons gagné le droit à l’avortement, mais ils nous obligent à continuer à mener d’énormes batailles pour le garantir. L’alliance entre groupes de droite et églises rétrogrades a conduit, dans certains cas, à de véritables croisades contre les droits des femmes et la diversité sexuelle.
Mais il y a d’autres domaines dans lesquels cette violence se déploie, déterminée à garder le contrôle sur nos vies et nos corps. La violence de genre en politique, que nous avons réussi à rendre visible et dans certains cas punissables, elle persiste. De plus, il s’étend désormais au meurtre et à l’intimidation des femmes des peuples et communautés autochtones qui défendent la terre, l’eau, les forêts, la souveraineté alimentaire, les semences et les territoires.
Nous persisterons dans nos luttes pour une vie sans violence pour nous-mêmes et pour le monde, par des initiatives à tous niveaux, locaux, nationaux, mondiaux, par des dynamiques de fraternité et de solidarité, interpellant les mouvements sociaux et la société dans son ensemble qui doivent assumer ce sujet comme étant le sien et prioritaire.
Dans ce FSM 2022, nous affirmons plus que jamais notre engagement dans la pensée et l’action féministes pour une transformation qui nous mène vers des sociétés de soins et de Bien-Vivre.
Nous appelons les puissances mondiales et les gouvernements à assumer les Droits humains et les Droits de la Nature, qui sont indissociables, comme le cadre démocratique minimum d’un agenda de défense de la vie et du bien commun.
Nous exigeons la fin de toutes les guerres, occupations et militarisations. Il est temps de construire la paix dans la justice et sans impunité.
Nous réaffirmons notre volonté de tisser des alliances fortes, de travailler ensemble sans hiérarchies, de favoriser la révolution des multitudes vers l’Autre Monde qui ne peut plus attendre.
*Version présentée à l’Assemblée des femmes pour d’autres mondes possibles, CDMX, 5 mai 2022