La commune de Koulikoro est située à environ 60 kilomètres à l’Est de Bamako, au Mali. Elle s’étend sur 14 kilomètres le long du fleuve Niger, coincée entre celui-ci et les collines rocheuses du mont Mandingue. La ville de Koulikoro est à la croisée des voies : ferroviaires, routières et fluviales. Le lien entre Koulikoro et le sable est un vieux lien. L’exploitation du sable et du gravier a commencé de façon occasionnelle à l’époque coloniale, avec une évolution fulgurante ces dernières années.
Après la fermeture de l’Huilerie Cotonnière du Mali (l’HUICOMA), les habitant·e·s de la commune de Koulikouro se sont tourné·e·s vers les activités d’extraction du sable et du gravier afin de compenser la perte de revenu. En effet, « depuis la fermeture de l’usine HUICOMA, mon mari ne travaille plus, j’ai donc décidé d’aller travailler au fleuve pour assurer les charges familiales » témoigne Marietou (1). Depuis 1995, le fleuve Niger et ses branches sont devenus une carrière d’extraction de sable et de gravier. Femmes, hommes, filles et garçons y travaillent. Mais les plus invisibles, les plus exploitées, les plus violentées, ce sont les femmes.
Les femmes plus vulnérables
Il existe une grande asymétrie entre les revenus des hommes et ceux des femmes pour une même journée de travail. De plus, les femmes n’ont aucun accès à des mutuelles ou autre filet de sécurité pour la santé, et même le coût du transport jusqu’à un cabinet médical est parfois trop important. Quant aux femmes dans des situations de fragilité (par exemples celles qui ont été déplacées lors de conflits), elles ne font partie d’aucune organisation de femmes et n’ont donc personne vers qui se tourner pour demander de l’aide.
Les violences sexuelles mettent également les femmes dans une position de vulnérabilité, puisqu’elles sont majoritairement tabous. On ne parle pas de viol, ou d’avortement. De même, l’abandon des enfants par les pères ou encore les faveurs sexuelles en échange de l’accès à la pirogue ne stigmatisent que les femmes, et pas leurs auteurs.
En outre, les femmes en situation de prostitution (souvent sans réseau familial, en situation d’extrême pauvreté et victimes de violences sexuelles dès le plus jeune âge) sont considérées comme fautives, tandis que les hommes, qui font pourtant usage de leur pouvoir économique sur elles, sont déresponsabilisés.
On constate également que l’accès au travail dépend des hommes – qui sont donc en situation de pouvoir –, ce qui entraine bon nombre de violences, y compris sexuelles. En effet, la position sociale et le contrôle que les hommes exercent sur les ressources mettent les femmes dans une relation de dépendance. Nombreuses sont les femmes contraintes à des rapports sexuels pour pouvoir accéder aux besoins les plus élémentaires, ou parfois pour simplement avoir la possibilité de travailler.
Travailler pour survivre
Fanta « vit avec son mari qui n’a pas de travail stable », celui de Binta est décédé, tandis que le mari de Mariam « est très vieux et ne peut plus travailler ». Kadiatou travaille pour aider sa mère qui est pauvre. « J’ai décidé d’aller pêcher le sable pour assurer les charges de la famille. Je pars à 5 heure et je retourne à 10 heures pour donner l’argent pour la cuisine à ma mère et ensuite je retourne au fleuve ou je reste jusqu’à 19 heures. Il y’a des jours ou je ne gagne rien, je pleure souvent quand je ne gagne pas d’argent. Le père de mon enfant ne m’aide pas. Souvent mon enfant est mis dehors de l’école pour non-paiement des frais de scolarité ».
Halimatou a commencé à travailler à 8 ans, et a dû combiner travail et scolarité. « J’ai commencé à travailler dans le sable depuis que je vais à l’école. J’ai école jusqu’à 14 h et à la descente de l’école, je vais au site et j’y travaille de 14h30 à 18 h. Les samedis et dimanches je travaille aussi, de 8h à 18 h et on mange tous là-bas. Après, vers 21 h, je vais apprendre mes leçons. Je me couche à 1h du matin et je me lève à 6h. En journée, je ne veux pas dormir, parce que dormir c’est perdre du temps ».
En plus du travail, les femmes doivent également assumer les tâches domestiques. Hawa raconte : « avec cinq enfants dont le plus petit à trois ans que je porte sur mon dos, je dois travailler. Parfois je le laisse dans l’ombre d’un arbre. » Quant à Fatoumata, elle « quitte la maison à 5 heures et retourne à 10 heures pour faire la cuisine ».
Les conséquences de ce travail physique ne sont pas anodines. « J’ai souvent mal au dos. Et mal à la poitrine. Quand j’ai commencé à travailler, à 8 ans, je n’avais pas mal au dos. Ça a commencé quand j’avais 10 ans et ça ne m’a plus jamais quittée » explique Halimatou.
Halimatou rêve d’être policière. Mais elle a déjà échoué 4 fois aux tests, écrits ou sanguins. Pour le reste, les formations coutent de l’argent et sa famille n’a pas les moyens. « Oui, on peut apprendre la boulangerie comme ça. Il ne faut pas payer. Mais une femme ne peut pas travailler pour un boulanger. On engage que des hommes. C’est comme ça, depuis toujours. Pourquoi je travaille dans le sable ? Car c’est la seule chose qu’on peut faire quand on n’a pas d’argent. Je veux vraiment avoir une autre profession. Mais il y a trop de corruption pour y avoir accès. »
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Cet article a été rédigé sur base des témoignages recueillis par des cadres techniques de la ville de Koulikoro lors d’une recherche-action pour l’identification et la formulation d’un projet au profit des femmes « pêcheuses du sable » commandité par ENABEL Mali, et accompagné par nos formatrices Katinka in’t Zandt et Lidia Rodriguez Prieto.
(1) Tous les noms sont des noms d’emprunt.