Carte blanche | Réforme du code pénal : un chèque en blanc pour les agresseurs ?

04 octobre 2021
Photo © Lucie Appart pour Le Monde selon les femmes

Cette carte blanche est signée par les associations membres du réseau FACES : la Voix des Femmes, Le Monde selon les Femmes, le Mouvement pour l’égalité des Femmes et des Hommes, l’Université des Femmes , le Collectif des Femmes de Louvain-La Neuve et Vie Féminine

Le code pénal fait actuellement l’objet d’une volonté de réforme, concernant ses éléments relatifs aux infractions à caractère sexuel. Le gouvernement voudrait faire approuver ce projet de loi – proposé par le ministre de la justice, Vincent Van Quickenborne – au Parlement rapidement avant la Toussaint. Le texte qui est proposé au parlement se révèle un véritable retour en arrière en matière de protection des enfants et des personnes vulnérables.

  1. Empressement dans l’adoption de réforme sans prise en compte des associations de terrain

Tout d’abord, la rapidité et l’empressement dont font preuve le politique empêchent une analyse approfondie et nourrie des connaissances – pourtant indispensables sur ces éléments – des actrices de terrain luttant contre les violences sexistes, des mouvements de femmes, ainsi que les associations de lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce sont, pourtant, les expert·e·s les plus à même de connaître des thématiques concernées et des défaillances du système judiciaire auxquelles les victimes sont confrontées. Aucune d’entre elles n’a pourtant été consultée à ce sujet, qui aura pourtant des impacts négatifs énormes sur une large majorité des belges : les femmes et les enfants.

  1. La définition de la notion de consentement ne permet pas la protection des victimes

Les associations de terrain réclament depuis longtemps une mise en application stricte d’une véritable définition du consentement comme semble l’être au premier abord celle mobilisée dans le texte de réforme.  tant réclamée par les associations de femmes  tant vantée dans la presse à grand public

La notion de consentement est mobilisée… tout en étant réfutée : la manière dont elle est mobilisée dans le projet de réforme du Code pénal ne permet pas une protection effective des femmes et des mineur·e·s. Par exemple, le projet de réforme du Code pénal, en son état actuel, pose pour principe que toute personne ayant atteint l’âge de seize ans accomplis, est présumée avoir librement donné son consentement (art. 417/6, §1)[1]. Cette manière de raisonner ne prend pas en compte la position des victimes, souvent démunies face à la difficulté d’apporter la preuve qu’elles n’ont pas « consenti » aux abus sexuels infligés. Récolter de telles preuves est encore plus difficile lorsque la plainte est déposée bien après les faits[2], notamment en raison de la de la crainte de ne pas être crue, de la charge qu’implique l’intentement de procédures, de la survenance d’une amnésie traumatique,… L’avant-projet de loi justifie pourtant l’impossibilité d’instaurer un renversement de la charge de la preuve en raison du fait qu’il risquerait « de favoriser les fausses déclarations et de conduire à des erreurs judiciaires »[3]. L’avant-projet n’hésite pas à baser son argumentation sur le fait qu’il y aurait 7, 5 % de fausses déclarations en matière de délinquance sexuelle. Que fait-on des 92,5% restants ? 53 % des plaintes pour viol sont classées sans suite[4] et seuls 4% des viols aboutissent effectivement à une condamnation[5]. Face à une telle inefficacité de la législation sur ces questions, il est absolument nécessaire de mettre en place de véritables mécanismes juridiques efficaces.

  1. Une définition de l’inceste inapplicable aux personnes majeures

L’inceste devient interdit… mais uniquement aux mineur·e·s. Si la consécration de l’inceste en infraction est indispensable, il est impensable qu’il ne soit défini qu’à l’égard des mineur·e·s. Cette définition signifie que n’est victime d’inceste que le·la mineur·e qui a moins de 16 ans accomplis, le consentement étant présumé à partir de cet âge.

L’exposé des motifs précise que, « dans les cas où l’abus sexuel incestueux a commencé à un jeune âge, mais continue après la majorité sexuelle, il ne peut pas, être question, en réalité, de consentement valable. Dès lors, il convient également de prévoir pour la catégorie des seize à dix-huit ans des règles plus strictes dans le prérequis du consentement lorsque l’auteur est un parent au sens large (…) »[6]. La terminologie selon laquelle « des règles plus strictes dans le prérequis du consentement » seront appliquées dans cette hypothèse est très vague. Cela signifie que l’absence de consentement n’est pas présumée dans ce cas. Il est révoltant de constater qu’un·e enfant·e victime d’inceste, souvent dès son plus jeune âge, et qui continue à l’être après sa majorité, ne sera donc plus considéré·e comme telle pour les abus subis à l’âge adulte.

  1. Des conditions rendant toute protection des victimes et condamnation des auteurs difficile voire impossible

Le projet de réforme affirme une meilleure protection des victimes… tout en la rendant inefficace : il exige certaines conditions qui alourdissent la charge de la preuve pour les victimes, ce qui aura pour conséquence de rendre impossible leur protection. Évoquons, d’une part, l’hypothèse d’un auteur qui se trouve dans une position de confiance, d’autorité ou d’influence par rapport à un·e mineur·e (art. 417/21). Par exemple, un membre du personnel d’un établissement d’enseignement, un médecin ou encore un responsable dans le cadre d’une activité pour jeunes[7]. Dans la circonstance où des abus sexuels ont été rendus possibles en raison précisément de cette position dont jouit l’auteur, l’exposé des motifs énonce qu’il est nécessaire que l’auteur ait effectivement utilisé sa position[8].

En outre, il reviendra, à nouveau, à la victime mineure de prouver que l’auteur a utilisé cette position pour profiter sexuellement d’elle. Comment, concrètement, pourra-t-elle apporter cette preuve ?

D’autre part, le projet de réforme érige en infraction aggravée les actes sexuels non consentis commis à l’encontre d’une personne vulnérable en raison de son âge, d’un état de grossesse, d’une maladie ou d’une infirmité physique ou mentale (article 417/15)[9]. Toutefois, l’auteur ne sera poursuivi que dans le cas où cette situation de vulnérabilité est manifeste ou connue de l’auteur. Comment la victime pourrait-elle concrètement apporter la preuve que l’auteur connaissait sa situation de vulnérabilité lorsque celle-ci n’est pas apparente ?  Il est possible de prévoir que ces circonstances excluent nécessairement tout consentement de la victime, ainsi que l’a notamment fait le législateur danois[10] ?

  1. Protection des personnes victimes de traite quasi impossible et facilitation du proxénétisme des mineur·e·s

La protection des victimes de traite des êtres humains serait rendue quasiment impossible. En effet, l’exploitation sexuelle d’une personne majeure est définie par le projet de réforme du Code pénal comme le fait de rechercher, même avec son consentement, directement ou indirectement, un avantage anormal économique ou tout autre avantage anormal de la prostitution d’un·e majeur·e (art. 433quater/4)[11]. En sachant que la fixation du seuil d’un profit dit « anormal », en ce qui concerne le proxénétisme immobilier, donne déjà du fil à retordre aux juges qui se trouvent, souvent, démunis pour évaluer si un montant est trop élevé ou non[12], ce constat s’imposera également en matière d’exploitation de la prostitution. Le projet de réforme facilite explicitement la prostitution des adolescents, renversant la charge de la preuve : il reviendra à l’enfant ou au Ministère public de prouver que le proxénète ou le client étaient informés de sa minorité et désireux de commettre l’infraction. Autant dire : mission impossible.

Finalement, ce texte n’est en rien une avancée pour les victimes, les femmes et l’égalité

Une législation se doit d’être pensée au départ de la situation des victimes[13] afin qu’elles puissent, au plus possible, être protégées par la loi et obtenir justice suite aux violences et traumatismes subis[14].

Au vu de l’ensemble des éléments que nous avons évoqués, nous demandons de geler ce projet de loi. Une réforme du Code pénal est nécessaire afin de se conformer aux évolutions sociétales. Toutefois, une réforme adoptée en niant complètement les situations des victimes et les difficultés que celles-ci sont amenées à rencontrer tout au long de leur parcours procédural est contraire, non seulement au texte contraignant de la Convention d’Istanbul, mais aussi à la réalité des faits. Cette même Convention d’Istanbul prévoit pourtant que les Etats signataires sont tenus de prendre des mesures législatives passibles de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, au regard de leur gravité[15].

Bien au contraire d’une loi égalitaire, c’est bien d’un texte sans approche dialectique de l’égalité entre les femmes et les hommes qu’il s’agit, et donc d’un texte cosmétique, qui, se parant sous des projets d’égalité, est en fait misogyne et contraire à tous les progrès effectués ces matières, toutes les dénonciations sociales et au mouvement #MeToo qui ont été médiatisées ces dernières années, en constituant un chèque en blanc pour les agresseurs sexuels.

[1] Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, exposé des motifs, Doc., 19 juillet 2021, n°2141/001, p. 13.
[2]AMNESTY INTERNATIONAL, « L’accès à la justice pour les victimes de viol », disponible sur https://www.amnesty.be/campagne/droits-femmes/viol/article/acces-justice-victimes-viol, 4 mars 2020.
[3]Avant-projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, exposé des motifs, p. 23.
[4]AMNESTY INTERNATIONAL, « Dossier spécial sur le viol en Belgique », disponible sur https://www.amnesty.be/campagne/droits-femmes/viol/stop-violences-sexuelles, 4 mars 2020.
[5]AMNESTY INTERNATIONAL, « Un an de campagne contre le viol : le bilan », disponible sur https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/campagne-viol-bilan, 8 mars 2021.
[6] Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, exposé des motifs, Doc., 19 juillet 2021, n°2141/001, p. 13.
[7] Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, exposé des motifs, Doc., 19 juillet 2021, n°2141/001, p. 13.
[8] Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, projet de loi, Doc., 19 juillet 2021, n°2141/001, p. 163.
[9] Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, projet de loi, Doc., 19 juillet 2021, n°2141/001, p. 159.
[10]GREVIO : rapport d’évaluation de référence (Danemark), 24 novembre 2017, p. 51, disponible sur https://rm.coe.int/premier-rapport-de-reference-du-grevio-sur-le-danemark/16807688bc.
[11] Projet de loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel, projet de loi, Doc., 19 juillet 2021, n°2141/001, p. 187.
[12] LE SOIR, « Carte blanche (Fondation Samilia) : réduira-t-on à néant 30 ans de lutte contre la traite des êtres humains ? », disponible sur https://plus.lesoir.be/379808/article/2021-06-22/carte-blanche-reduira-t-neant-30-ans-de-lutte-contre-la-traite-des-etres-humains, 22 juin 2021.
[13] Convention d’Istanbul, précitée, art. 7, point 2.
[14] Convention d’Istanbul, précitée, art. 5, point 2.
[15]Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et de la violence domestique, signée à Istanbul, le 11 mai 2011, approuvée par la loi du 1er mars 2016 , M.B., 9 juin 2016, art. 45, point 1.

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