Violences faites aux femmes et confinement, des mesures concrètes dès maintenant !

Nous sommes signataires de cette lettre ouverte adressée aux Ministres membres de la Conférence Interministérielle sur les droits des femmes

Dans la perspective du groupe préparatoire de la Conférence Interministérielle sur les droits des femmes qui va se tenir ce jeudi 2 avril à propos des mesures à prendre pour lutter plus efficacement contre les violences entre partenaires dans ce contexte de confinement, nous souhaitons attirer votre attention sur les éléments suivants.

La crise actuelle met en lumière la précarité des actions de prévention primaire qui visent à diminuer les violences faites aux femmes et à éviter au maximum de devoir agir dans l’urgence quand ces violences s’expriment. Avec le confinement, davantage de femmes sont confrontées, 24h sur 24, à des situations inextricables que beaucoup connaissaient déjà avant : stress de l’enfermement quotidien avec son agresseur, contrôle permanent des communications et des sorties, montée des tensions dues à la promiscuité, risque d’aggravation des violences et de passage plus fréquent aux violences physiques et sexuelles dans les familles, …

Un tel contexte complique la mise en œuvre de stratégies de protection par les femmes concernées, d’autant plus si elles vivent dans un logement exigu ou si elles doivent en même temps se soucier de la sécurité de leurs enfants. Cela complique aussi leurs possibilités d’appels à l’aide, d’autant plus si elles ont un faible réseau social, si elles n’ont pas de moyen de communication ou de mobilité, ou si elles veulent éviter le recours à la police de peur de risquer une expulsion du territoire ou une sanction financière des services sociaux.

Avec le confinement, les maisons d’accueil fonctionnent en circuit fermé. Alors qu’il manquait déjà des places auparavant, il n’y a désormais plus de places disponibles. Nous saluons les décisions prises récemment par la Région Wallonne concernant la distribution de masques et l’octroi d’un soutien financier aux maisons d’accueil. Mais le matériel de protection n’est pas garanti dans la durée, ce qui entretient un climat anxiogène tant pour les résidentes déjà sur place que pour le personnel qui y risquent leur santé. Une difficulté de plus est celle du manque d’espace pour pouvoir mettre en quarantaine les femmes hébergées présentant des symptômes ou ayant eu des contacts avec des personnes infectées.

Enfin, de nombreux dysfonctionnements existent depuis longtemps au niveau de la police et de la justice, en ce qui concerne l’intervention d’urgence, la mise en protection des victimes, l’enregistrement et le suivi des plaintes ou la responsabilisation des auteurs. Dans le contexte actuel, les effectifs de la police et de la justice semblent être prioritairement mobilisés pour  faire respecter les mesures de confinement et nous craignons que l’attention portée à la lutte contre les violences, déjà insuffisantes, en pâtisse, comme semble en attester les premiers témoignages que nous recevons.

Nous saluons le travail et les décisions prises par la Task Force qui s’est organisée avec des services spécialisés et les Ministres Bénédicte Linard, Christie Morreale et Nawal Ben Hamou. Nous espérons que la Conférence Interministérielle soit l’occasion de continuer à concrétiser les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre les violences faites aux femmes, en se conformant davantage aux exigences de la Convention d’Istanbul ratifiée par la Belgique en 2016.

Parmi les mesures à mettre en œuvre immédiatement, nous insistons en particulier sur celles-ci :

1. Entreprendre une large campagne publique avec quatre objectifs :

  • prévenir les violences conjugales et intrafamiliales, notamment en faisant connaître les programmes pour les auteurs de violence qui existent et restent accessibles
  • promouvoir les lignes 0800 30 030 (francophone), 1712 (néerlandophone) et 0800 98 100 (pour les victimes de violences sexuelles, notamment de viol conjugal et d’inceste) qui aident les femmes concernées à élaborer des stratégies de désescalade des violences adaptées à chaque situation
  • sensibiliser la population pour que chacun·e soit particulièrement attentif·ve à ses proches et à ses voisines exposées aux violences conjugales et intrafamiliales
  • sensibiliser les professionnel·le·s de la police, de la justice, de la santé et de l’aide à la jeunesse aux mécanismes des violences conjugales et intrafamiliales pour limiter la victimisation secondaire et dans la perspective de concrétiser dès que possible une formation continue et obligatoire sur la dynamique des violences faites aux femmes

Cette campagne pourrait s’envisager à l’image de ce qui s’est fait très vite pour promouvoir les mesures de protections sanitaires contre le Covid-19, à travers des spots télés, des affichages dans tous les lieux de passage (supermarchés, boulangeries, pharmacies, arrêts de bus, administrations communales, …) tout en veillant à une accessibilité maximale (pictogrammes, traductions, …). On peut aussi imaginer des démarches qui permettraient de toucher davantage de monde dans ce contexte particulier comme par exemple le passage de voitures à haut-parleur pour diffuser un message sonore dans les rues, la promotion des lignes d’écoute sur les tickets de caisses ou de transports en commun, ….

2. Améliorer ces lignes d’écoutes en renforçant les équipes avec des professionnel-le-s ayant reçu une formation de base accélérée pour pouvoir :

  • élargir les permanences avec des spécialistes formé-e-s aux violences entre partenaires 24h/24 et 7j/7
  • rendre ces lignes accessibles via un numéro de portable pour pouvoir envoyer plus discrètement des textos et recevoir une réponse rapide
  • élargir les horaires de chat ou de video-conférences en direct
  • faciliter les possibilités de traduction pour les femmes qui ne parlent ni français ni néerlandais, notamment à l’aide du site we-access.eu
  • transformer ces lignes d’écoute en lignes d’urgence, en contact permanent avec les services spécialisés (ambulatoires et maisons d’accueil) et les services de secours (santé et police) pour réagir au plus vite

3. Faire de la lutte contre les violences entre partenaires une priorité de toutes les zones de police. Il faut pour cela rappeler dans tous les commissariats la dynamique des violences conjugales et privilégier une attitude proactive pour :

  • rendre visite régulièrement aux femmes qui ont dénoncé des violences conjugales ces trois derniers mois pour s’assurer qu’elles vont bien et signifier à leur agresseur qu’il est surveillé
  • recevoir et orienter de façon bienveillante les femmes qui dénoncent des violences conjugales, en veillant à une application stricte de la COL 04/2006 et des procédures accélérées à adopter (cf point suivant)
  • intervenir systématiquement pour toutes les femmes sans discrimination et pour toutes les formes de violences, sans banalisation, même s’il n’y a pas d’agression physique
  • garantir la confidentialité des interventions de façon à ce que les victimes n’aient pas à subir de représailles administratives liées à leur statut ou à leurs conditions de vie

4. Faire de la lutte contre les violences entre partenaires une priorité de tous les parquets, en mettant en place, dans la mesure des effectifs disponibles et de la réorganisation du secteur de la justice qui a été opérée dans le contexte du confinement, une procédure facilitée et accélérée

  • de traitement des plaintes pour violences entre partenaires, avec la poursuite des procédures en cours, dans l’objectif de favoriser au maximum la sécurité des victimes
  • de suivi avec les services spécialisés et la police
  • d’éloignement des auteurs de violences pour que, si la victime le souhaite, ce soit l’auteur qui ait à quitter le domicile, ce qui implique de s’assurer d’un relogement chez des proches si possible ou dans des structures adaptées si nécessaire, avec un suivi adapté pour éviter qu’il retourne agresser ses victimes. Ce suivi adapté doit impérativement être garanti, d’autant plus que le contexte particulièrement anxiogène et tendu peut augmenter le niveau de dangerosité des auteurs de violences qui se verraient éloigné du domicile.

5. Réquisitionner des locaux et mobiliser des équipes pour proposer aux femmes et aux enfants victimes de violences conjugales qui préfèrent cette option un refuge temporaire dans de bonnes conditions et dans le respect des mesures sanitaires face au Covid-19 avec du matériel de protection adapté et en suffisance, comme l’ont initié les villes de La Louvière et Liège en collaboration avec des services spécialisés

Par exemple des chambres d’hôtel pour les femmes seules, des chambres d’hôtes plus adaptées aux femmes qui ont besoin de sécurité avec leurs enfants dans des lieux qui permettent aux services spécialisé de jouer un rôle de proximité plus important en maintenant un lien social, des logements sociaux (notamment en permettant aux familles en maison d’accueil et à qui un logement social a déjà été attribué d’intégrer rapidement ce logement pour libérer des places en maison d’accueil), des bâtiments communaux ou inoccupés aménagés, …. Il s’agit aussi d’anticiper le relogement des femmes et des familles hébergées dans ces espaces temporaires à la fin de la période de confinement.

6. Il importe à travers toutes ces mesures de porter une attention particulière aux femmes les plus vulnérables : les femmes en séjour précaire, sans abri, porteuses de handicap, à mobilité réduite, sans revenus, …

Elles doivent pouvoir accéder à tous les dispositifs mis en place et ceux-ci doivent être adaptés aux difficultés spécifiques que ces femmes rencontrent. Par ailleurs, nous insistons aussi sur la nécessité de permettre à toutes les femmes de disposer pleinement de leurs droits fondamentaux, ce qui passe notamment par la régularisation des personnes sans papiers.

Le confinement met en lumière les graves manquements des pouvoirs publics dans la lutte contre les violences faites aux femmes, manquements que les associations et services de terrain soulignent depuis très longtemps et qui sont synthétisés dans le rapport alternatif sur la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul déposé par la société civile l’année dernière.

Tout comme ce que nous sommes en train de vivre dans le secteur de la santé, largement sous-financé depuis des années, la gravité de la situation saute aux yeux avec ce contexte exceptionnel de crise. Nous insistons donc pour tirer les leçons de ce que nous vivons aujourd’hui et plaidons pour que les mesures d’urgence citées ci-dessus se poursuivent au-delà de la période confinement en s’intégrant à une véritable politique globale, cohérente et coordonnée de lutte contre les violences faites aux femmes, financée en conséquence. Cette politique globale doit aussi inclure une stratégie de prévention primaire qui aide notamment à mieux affronter à l’avenir des situations exceptionnelles comme celle-ci.

Pour aujourd’hui comme pour demain, il en va de la  dignité, de la sécurité et de la vie de milliers de femmes en Belgique !

Signataires :
ACRF-Femmes en milieu rural, Awsa.be, Centre de Planning Familial Le « 37 », Centre Féminin d’Education Permanente, Collectif contre les violences familiales et l’exclusion, Collectif féministe Kahina, Collectif Les Cannelles, Conseil des Femmes Francophones de Belgique, Corps écrits, Ecoute violences conjugales et Pôles de ressources spécialisés en violences conjugales et intrafamiliales, Ella vzw, Fédération des Centres de Planning et de Consultations, Fédération des Centres de Planning familial des Femmes, Prévoyantes Socialistes (FCPF-FPS), Femmes de Droit – Droit des femmes, Femmes et santé, Femmes Prévoyantes Socialistes, Furia, Gams Belgique, Garance, Infor-Femmes, Isala asbl, La maison plurielle, La Voix des Femmes, Le Déclic, Le Monde selon les femmes, Mouvement pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes, Planning familial de Liège, Praxis, Solidarité Femmes, SOS viol, Université des Femmes, Vie Féminine, Vrouwenraad

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